L'histoire du bâtiment

L'abbaye de Corbigny, son histoire et son architecture

L'Histoire

Cette abbaye, dont Armand de Bourbon, prince de Conti, frère du Grand Condé et éphémère protecteur de la troupe de Molière, fut un des abbés commendataires, est un lieu patrimonial de longue mémoire que son architecture tout à la fois magnifie et « écrase ». Simplicité, régularité mais aussi monumentalité sont les mots qui décrivent le mieux une architecture qui exprime, dès le premier coup d’œil, le goût pour la pierre et la terre de ceux qui en ont passé commande, même si une lecture plus attentive du monument laisse apparaître, ici et là, à l’intérieur même de son enveloppe, des pleins et des déliés et quelques fantaisies dans les décors. Ce parti-pris d’occupation massive de l’espace au sol, cet effet forteresse, constituent un paradoxe dans la conception originelle d’un monument qui était avant tout destiné à la prière et à la verticalité…

Derrière des façades minérales,

les anciennes salles communes, cellules, escaliers et galeries forment les espaces d’un monument resté relativement « dans son jus », en dépit des adaptations architecturales « imposées » par ses différents usages, au fil des ans et des régimes, de la mise à disposition de la Nation des biens du Clergé par la Constituante en 1789 à l’implantation d’un collège avec internat au début des années cinquante…

 

50 dates pour plus de 12 siècles d’histoire

     Vers 650 Établissement par le seigneur Corbon d’une villa non loin du confluent de l’Yonne et de l’Anguison

    Vers 720 Widrade, fils de Corbon, fonde l’abbaye de Flavigny selon la Règle de Saint Benoît.

    A la mort de Widrade, terres et villa héritées de Corbon reviennent à l’abbaye de Flavigny

    Vers 776 Manassès-le-Grand, abbé de Flavigny, conçoit le projet de bâtir un prieuré sur les terres de Widrade

    798 Théodulphe, évêque d’Orléans, transmet cette requête à Charlemagne qui accorde l’autorisation demandée par un diplôme octroyé à Manassès. Ce n’est que plus de soixante ans plus tard que cette cella sera construite.

    864 Égile, évêque d’Auxerre et abbé réformateur de Flavigny, préside à la fondation de cette cella (monastère)

    Vers 880 Translation des reliques de saint Léonard au monastère de Corbigny

    Vers 985 Robert de Nevers, prieur du monastère, plus connu sous le nom de Robert-le-Diable, pense mettre fin à l’autorité de Flavigny en prenant de sa propre autorité et malgré les protestations de la Maison-Mère, le titre d’abbé

    1034 Robert-le-Diable meurt et le monastère est replacé sous la dépendance de l’abbé de Flavigny

    1045 Odon, abbé de Flavigny, en visite canonique à Corbigny, reçoit des moines la crosse usurpée par Robert, leur ancien « abbé ». Cinq années plus tard, l’abbé Odon est accusé de posséder deux crosses et deux abbayes…

    Vers 1107 Pour mettre un terme à cette querelle, le monastère de Corbigny est déclaré abbaye.

    Le pape Pascal II confirme l’abbaye de Corbigny dans son indépendance en mettant fin à la tutelle de Flavigny sur celle-ci

    1173 Charte de Gui Ier, comte de Nevers, autorisant l’abbé et les habitants de Corbigny à faire clore leur ville et à l’entourer d’une enceinte fortifiée

    1180-1190 A la suite d’un incendie général, la ville et son monastère sont reconstruits tout près des bords de l’Anguison. Corboniacum devient Corbegni-les-Saint-Léonard

    1190 Philippe Auguste, en route pour Gênes où il doit s’embarquer pour la 3ème croisade, se recueille devant les reliques de saint Léonard

    1228-1230 Les habitants de Corbegni obtiennent leur charte d’affranchissement. L’abbé Girard renonce à la main morte et à certains autres droits fiscaux qu’il possédait sur les habitants

    1364 L’abbaye doit se défendre des Grandes Compagnies, constituées de mercenaires qui se regroupaient pendant les périodes de paix de la Guerre de Cent Ans

    1423 Siège de la ville par les Armagnacs, lors de la guerre civile qui opposa ces proches du pouvoir royal aux Bourguignons, alliés des Anglais. Le toit de l’église de l’abbaye et maintes dépendances sont ruinés

    1435 Le pape Eugène IV accorde des indulgences aux bienfaiteurs de Corbigny

    1525 Le premier abbé commendataire séculier est François de Clèves

    Janvier 1563 Excédés par les heurts avec les catholiques et emmenés par Louis de Blosset, seigneur de Coulon, les Huguenots, qui forment une importante communauté à Corbigny, prennent l’abbaye en représailles, la pillent, la brûlent et la vident de ses moines

    Vers 1572 Quelques moines se regroupent tant bien que mal à l’intérieur de l’enceinte démantelée

    Vers 1626 Erard de Rochefort prend l’abbaye en commende et s’y installe. Il s’engage à la reconstruire, à recouvrer les biens du monastère et à y entretenir douze religieux

    1636 Léonard de Rochefort, son neveu, expulse les protestants de Corbigny

    1645 Armand de Bourbon, prince de Conti, frère du Grand Condé, introduit la réforme de Saint-Maur à Saint-Léonard

    Dés la fin de la première moitié du 17ème siècle, suite à cette affiliation à la congrégation de Saint-Maur et après avoir repris en main le spirituel, les moines entreprennent la reconstruction du monastère

    1694 L’abbé janséniste René Pucelle prend l’abbaye de Corbigny en commende

    1754 Pose de la première pierre de l’édifice actuel sous l’administration de dom Landel, prieur

    1777-1789 Xiste Louis Constance Marie Roux de Bonneval, dernier abbé, démolit les bâtiments du doyenné par autorisation du roi

    1789 L’abbaye n’est pas terminée lorsque survient la Révolution. Le 2 novembre, les biens des établissements religieux sont séquestrés par l’État

    1790 L’abbaye devient le siège du district de Corbigny

    1791 Les bâtiments sont vendus aux enchères à un particulier qui les cède un an après à douze habitants de la commune agissant "au nom de la commune »

    25 avril 1793 Collot-d’Herbois et de la Planche, commissaires-députés à la Convention, invitent les officiers municipaux à rechercher les moyens de tirer de l’abbaye le parti le plus avantageux à la commune

    1807-1832 L’abbaye est concédée partiellement, et à titre gratuit, à l’administration des Haras pour y entretenir un dépôt de quarante chevaux étalons

    1834 Location à l’Evêché de Nevers pour y abriter le petit séminaire

    1850 L’évêque transfère son bail à la société hospitalière, à la salle d’asile et aux Frères de la doctrine chrétienne de Nancy

    1858 L’école normale d’instituteurs s’installe dans l’établissement sous la direction des Frères

    1888 Création d’une école primaire supérieure, d’un cours élémentaire et, l’année suivante, d’un cours complémentaire. L’abbaye s’ouvre à un siècle d’enseignement laïque

    1894 Ouverture d’une école pratique d’agriculture dans les dépendances de l’abbaye

    1914 L’abbaye est transformée en hôpital militaire temporaire (n°63)

    1938 Démolition, au monastère, du corps de bâtiment longeant la rue de Clamecy et des voûtes de l’ancienne église abbatiale afin de construire une école maternelle

    1951 L’église conventuelle, devenue salle des fêtes, est reconvertie, par création de niveaux, en classes et en dortoir

    1962 Le cours complémentaire devient collège d’enseignement général

    1983 Le collège quitte l’abbaye pour de nouveaux locaux

    1985 Ouverture de la salle des fêtes

    2001 L’abbaye est classée Monument historique

    2002 Ouverture d’un studio de danse

    2003 Début de la restauration des toitures de l’aile sud et de l’aile est

    2003 Installation de la compagnie TéATréPROUVèTe

    2004 Installation de la compagnie Déviation

    2004 Création des Espaces de cultures du Pays Nivernais-Morvan

    2005 Installation de l’office de tourisme du pays corbigeois dans l’aile sud

    2006 La Cie de danse les alentours rêveurs – Serge Ambert en résidence-implantation

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Polémique sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle

 « Erubescant igitur Corbiniacenses monachi qui dicunt se beati Leonardi corpus habere… »

 Dès le 11e siècle, les moines de Corbigny ont développé une économie du pèlerinage autour des prétendues reliques de saint Léonard du Limousin, dont la « présence » à Corbigny est contestée dans un texte en latin du 12e siècle, écrit à l’usage des pèlerins de Saint-Jacques-de-Compostelle.

La querelle des reliques fait rage.

“Qu’ils rougissent donc de honte les moines de Corbigny qui prétendent avoir le corps de saint Léonard tandis que ni le plus petit de ses os, ni ses cendres n’ont pu en aucune façon, être emportés. Les moines de Corbigny comme bien d’autres gens sont gratifiés de ses bienfaits et de ses miracles, mais ils sont privés de la présence de son corps. N’ayant pu l’avoir, ils vénèrent comme étant celui de saint Léonard le corps d’un certain Léotard qui, disent-ils, leur fut apporté d’Anjou, dans une châsse d’argent ; ils ont même changé son nom après sa mort comme s’il avait été baptisé une seconde fois. Ils lui imposèrent le nom de saint Léonard afin que par la renommée d’un nom si grand et si célèbre, à savoir celui de saint Léonard du Limousin, les pèlerins viennent là et les comblent de leurs offrandes. Ils célèbrent sa fête le 15 octobre. Les dévots étrangers et les fidèles du pays qui vont là-bas croient trouver le corps de saint Léonard du Limousin qu’ils aiment, et, sans le savoir, c’est un autre qu’ils trouvent à sa place C’est pourquoi les gens de Corbigny sont coupables d’une double faute car ils ne reconnaissent pas celui qui les favorise de ses miracles et ils ne célèbrent pas sa fête, mais rendent hommage, dans le désordre, à un autre à sa place.”

Extrait du Guide du Pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle, texte latin du 12e siècle, attribué à Aimery Picaud, édité et traduit en français par Jeanne Vieilliard, Macon, 1938. (Voir ci-dessous Codex Calixtinus)

 Sur la maison des échevins, une conche de Saint-Jacques est sculptée en haut-relief. Elle témoigne du passage des pèlerins dans le village, sur la voie de Vézelay.

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 De quelques abbés commendataires …

Armand de Bourbon, prince de Conti (Paris, 11 octobre 1629 - château de la Grange – des - Prés, près de Pézenas, 21 février 1666)

C’est en 1645 que Louis XIV donne l’abbaye de Corbigny en commende à Armand de Bourbon, prince de Conti, frère cadet de Louis II, prince de Condé, dit le Grand Condé. Il n’a alors que seize ans... Disgracié par la nature et de santé fragile, ce jeune prince du sang dispose alors des revenus de plusieurs abbayes et prieurés : outre Corbigny, Saint-Denis, Cluny, Molesmes – sur - Seine…

À Corbigny, il s’en tient, en matière de dépenses, à des agrandissements, importants, du logis de l’abbé, pour le cas où, peut-être, il eut dû y subir un exil. Les plans levés par dom Pinet et dom Delacroix indiquent clairement, au nord-ouest, le corps central et l’aile Est de cette sorte de petit « château », imaginé par lui en complément des appartements de son prédécesseur Erard de Rochefort.

Vers 1647, il introduit dans l’abbaye la réforme de Saint – Maur, avant de se jeter à corps perdu, avec son frère aîné, dans les désordres de la Fronde. Pour s’être insurgé, avec les frondeurs, contre la reine et Mazarin, on l’enferme à Vincennes puis au château de Marcoussis et enfin au fort du Havre. Il se rachète en épousant le 21 février 1654 Anne Marie Martinozzi, nièce du cardinal, et résigne ses bénéfices ecclésiastiques.

Le 16 janvier 1660, Louis XIV lui accorde une pension annuelle de 60 000 livres. Le 26 février, il est nommé commandant en chef du Languedoc. Il s'installe au château de la Grange-des-Prés, et se consacre à l'étude et au mysticisme jusqu'à sa mort, en 1666. Il est inhumé à la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Son tombeau est profané à la Révolution et ses ossements sont transférés dans la crypte de l'oratoire de Port-Royal-des-Champs à Paris.

On retiendra aussi que, de 1653 à 1656, il est le protecteur de la troupe de Molière dont il fut le condisciple chez les Jésuites au collège de Clermont, devenu aujourd’hui le lycée Louis –le-Grand.

Le grand écrivain russe Mikhaïl Afanassievitch Boulgakov dresse un beau portrait de Conti dans Le roman de monsieur de Molière, écrit en 1932 à la demande de Maxime Gorki.

La congrégation de Saint-Maur

Congrégation créée au 17ème siècle dans le but de réformer les abbayes bénédictines, contre, notamment, la détestable pratique de la commende. Richelieu tente de la fusionner avec l'ordre de Cluny, mais il n'a pas le temps d'achever son œuvre et la séparation est maintenue. La congrégation est prise en charge par Dom Jean Tarisse, considéré comme son véritable fondateur. Elle est dirigée par un prieur général, élu par un chapitre général qui se réunit tous les trois ans. Elle réunit 191 abbayes et prieurés. La congrégation se distingue par son travail d'érudition. Emportée par la Révolution (1792), la congrégation ne réapparaît pas avec la Restauration.

Dans le Génie du Christianisme, Chateaubriand analyse les enjeux de la réforme de Saint-Maur, une des dernières de l’ordre de saint Benoît en France :

« En 1618, le roi Louis XIII permet la création d’une nouvelle congrégation bénédictine qui se met sous le patronat de saint Maur qu’on prend alors pour l’introducteur de la règle de saint Benoît en France. Celle-ci souhaite introduire dans les monastères français une réforme de la vie monastique devenue nécessaire au 17ème siècle, suite aux grands bouleversements causés le siècle précédent par les guerres de religion. Cette congrégation a aussi pour objectif de restaurer les monastères détruits par ces mêmes guerres. Dom Tarisse, supérieur général du mouvement de 1630 à 1648 y apporta une organisation toute en finesse et diplomatie qui fut certainement l’une des raisons de la réussite de l’œuvre […] Pas loin de deux cents abbayes ou prieurés firent ainsi partie de la congrégation […] Les Mauristes disposant ainsi d’un fort capital de manuscrits et d’archives historiques se lancèrent dans l’étude et le travail intellectuel, qui devint l’un des piliers de l’ordre créé. De là nous vient l’expression “ un travail de bénédictin” ».

 C’est en effet le premier supérieur général, Dom Grégoire Tarisse (1575-1648), qui se persuada que les moines, à l’origine défricheurs, pouvaient utilement servir l’Église par un travail de recherche historique et philologique de traduction et de commentaire des Pères de l’Église, en particulier Grégoire le Grand et saint Augustin. Ainsi orienta-t-il l’activité de quelques-uns de ses moines vers les études et constitua-t-il, au sein de la congrégation, une très petite équipe de savants, dont la productivité fut exceptionnelle.

 Pour autant, les moines de Corbigny n’appartinrent pas à cette poignée de « littérateurs », regroupés autour du chapitre général à Saint-Germain-des-Prés. On peut, au contraire, les imaginer comme ayant appartenu à la catégorie des moines - entrepreneurs, capables de remettre en état, ou de reconstruire des bâtiments ayant pâti des guerres de religion ou des désordres de la Fronde.

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L’abbé Pucelle en exil à Corbigny

 C’est en 1694 que ce conseiller-clerc au Parlement de Paris, dont la postérité retiendra qu’il était « infecté de jansénisme », reçoit l’abbaye de Corbigny en commende. Par la commende, le bénéfice d’une abbaye (la mense abbatiale) est concédé à un ecclésiastique régulier ou à un laïc qui ne réside pas dans la dite abbaye…

Il en alla tout autrement pour Pucelle… En mai 1732, après avoir déposé aux pieds de Louis XV une protestation concernant la fermeture du cimetière Saint-Médard à Paris où une foule de convulsionnaires venait « voir des miracles » sur la tombe du diacre janséniste Pâris, Pucelle est expédié manu militari à Corbigny par le roi, qu’irrite l’éloquence mise au service du parti janséniste par cet homme, qualifié de « Démosthène du Parlement » par le Président Hénault.

Le second jansénisme, plus politique que celui de Port-Royal au 17ème siècle, farouchement opposé aux proclamations de la bulle Unigenitus (machine de guerre anti-janséniste devenue loi du royaume par le lit de justice du 24 mars 1730, dix sept ans après sa fulmination par le pape Clément XV à la demande de Louis XIV), s’installe alors avec Pucelle parmi les moines de Corbigny.

Serait-ce si paradoxal de penser que les hommes de la trempe de Pucelle issus des générations jansénistes du 18ème siècle, férus de théologie politique, n’ont pas, quelque part, rencontré stratégiquement les philosophes des Lumières pour repenser entièrement tous les fondements de la souveraineté et mettre l’absolutisme bourbon à genoux ?

 « […] conseiller au parlement de Paris [Pucelle] se fit une grande réputation par son intégrité, par le courage avec lequel il défendait la liberté des citoyens contre les prétentions de la cour de Rome et du clergé. Comme le jansénisme était alors le prétexte de ses entreprises, les Parisiens le prirent pour un janséniste: mais sa véritable religion était l’amour des lois et la haine de la tyrannie sacerdotale; il n’en eut jamais d’autre ».

Voltaire, Discours en vers sur l’homme, Deuxième discours, De la liberté, 1734

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Une lettre de dom Thiroux relate l’arrivée du bonhomme à Corbigny :

23 mai 1732, Pucelle « arrive avec un mal de tête causé par l’ardeur du soleil […] le lendemain il ne s’en sentit plus, il est fort gay ». Mais devant être accompagné d’un brigadier des gardes du corps et d’un garde du Roi « qui sont fort gesnants pour luy », l’officier doit même coucher dans sa chambre. Il s’en amuse en le faisant lever à minuit, « lequel, n’étant point habitué à cette vie monastique, trouve très mauvais de la continuer et mande à la Cour qu’il était bien plus puni que M. l’abbé Pucelle ».

Et dans les Mémoires (apocryphes) de Maurepas, prétendument publiés sous son nom par son secrétaire, on peut lire le portrait suivant, qui reprend, presque mot pour mot, celui de Thiroux :

« Pendant le temps qu’il resta dans son abbaye, il alla tous les jours à matines avec les moines ; il faisait lever à minuit le brigadier qui le gardait, lequel, n’étant point accoutumé à cette vie monastique, trouvait très mauvais de la continuer, et manda à la cour qu’il était bien plus puni que M. l’abbé Pucelle ».

 

L’affreux 19ème siècle

Les Haras de l’État, qui s’étaient installés en 1807, sous l’Empire, quittent Corbigny en 1832, sous Louis-Philippe, « roi des Français », laissant à une rue de la ville, fort en pente, le nom de rue des Essais. Un nom qui ne doit rien à Montaigne. Là, les palefreniers faisaient débouler les chevaux pour vérifier que le cavalier tenait en selle sans s’agripper à sa monture…

En 1834, après la loi Guizot du 28 juin 1833, établissant que « l’instruction primaire est privée ou publique », l’abbaye de Corbigny est louée à l’évêque de Nevers pour y installer le petit séminaire diocésain.

En 1850, dans la foulée de la loi Falloux (15 mars 1850) qui renforce le contrôle de l’Église catholique sur l’enseignement primaire, l’évêque transfère son bail à la société hospitalière, à la salle d’asile et aux Frères de la doctrine chrétienne, venus de Nancy, qui ouvrent dans l’abbaye le pensionnat Saint-Vincent de Paul.

En 1858, dirigée par les mêmes Frères, l’École normale primaire départementale s’installe dans l’abbaye. Elle y restera jusqu’en 1887, bien au-delà des grandes lois organiques de laïcisation de l’enseignement (loi Camille Sée de 1880, instaurant l’éducation secondaire pour les jeunes filles, lois Ferry de 1881-1882, loi Goblet de 1886 qui crée les cours complémentaires, annexés aux écoles élémentaires), quand la municipalité se voit contrainte, presque un siècle après le rapport sur l’organisation générale de l’instruction publique de Condorcet (avril 1792), de résilier le bail des Frères pour installer, enfin, des écoles publiques laïques dans l’abbaye.

 

Au 20e siècle

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Au 20e siècle, quatre-vingt ans d’enseignement laïc ponctué de modifications structurelles plus ou moins heureuses du bâtiment

En 1938, pour permettre la construction d’une école maternelle, deux arcs de volée, derniers vestiges du bas-côté nord de la nef de l’église primitive sont abattus et le cimetière des bénédictins est relevé. Au début des années cinquante, l’église conventuelle de style grec, qui servait alors de salle des fêtes après avoir été longtemps désaffectée, fait l’objet de travaux d’aménagement particulièrement lourds. L’objectif de ces travaux est de donner plus d’espaces utiles au cours complémentaire de garçons, installé dans l’abbaye depuis la fin du 19e siècle. Pour ce faire, deux planchers en béton armé sont construits dans la hauteur de l’édifice, afin d’en diviser le vaisseau en trois étages, classes au rez-de-chaussée et dortoir au premier étage, le niveau supérieur, correspondant au volume de la voûte, devenant inaccessible au public. Les grandes fenêtres sont partagées en deux à grand renfort de maçonnerie, les pilastres ioniques qui ornent les murs sont occultés, ainsi que la voûte à la Philibert Delorme qui, en plein cintre sur la nef, se transformait élégamment en cul de four au-dessus du chœur.

En 1959, le cours complémentaire annexé à l’école primaire devient collège d’enseignement général (CEG) et, en 1963, collège d’enseignement secondaire (CES). En 1983, le collège quitte définitivement l’abbaye pour un bâtiment flambant neuf au lieu-dit les Crocs-Gâtés.

En 2001, grâce à l’action opiniâtre du maire de Corbigny, Jean-Paul Magnon, et de ses adjoints, l’abbaye est classée Monument Historique.

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Ils ont laissé leurs traces…

Inscriptions spontanées ou clandestines, graffitis, dédicaces, signatures, dazibaos, proclamations…

C’est à partir de 1754 que le bâtiment est mis en reconstruction, sous l’administration de dom Etienne Grasset, prieur. Une pierre d’angle est apposée lors du commencement des travaux le 27 septembre. Cette pierre nous livre des informations précieuses. Elle témoigne en effet des querelles de l’époque entre le prieur et Jean Omelane, l’abbé commendataire, qui n’est pas même cité sur cette inscription.

 

Sur un des entraits de la charpente du comble de l’aile Sud, le compagnon Thomas Pornot a gravé son nom et la date d’achèvement de son ouvrage. On sait ainsi, grâce à cette signature, que cette aile Sud de l’abbaye, commencée en 1754, fut couverte en 1756.

 

De même, le compagnon Jacques Paupit, tailleur de pierre, a gravé son nom et une date sur l’entablement d’une fenêtre. Cette date, 1785, en même temps que le lieu de l’inscription, nous apprennent que l’aile Est n’était alors qu’à moitié construite. On sait par ailleurs que le chantier n’était pas encore terminé quand la Révolution Française éclata.

 

Dans un cagibi obscur niché sous l’escalier d’honneur, plusieurs générations d’écoliers et de collégiens en colère ont exprimé à leur manière tout le mal qu’ils pensaient des maîtres chargés de leur enseigner les Humanités…

Parmi les traces laissées par ces gamins, au nombre desquels beaucoup d’internes, qui donnèrent du couteau ou de la pointe de compas sur les murs enduits de plâtre, on peut lire une centaine de noms, avec, parfois, un prénom ou une date…

 

Ces dates s’échelonnent de 1940 à 1983, année qui marqua l’inauguration officielle par le Président Mitterrand du collège Noël Berrier, rue d’Augenay.

 

L'architecture

 Une abbaye dans la ville… Le regard de Paul Barnoud, architecte en chef des monuments historiques

 "L’abbaye s’impose dans la ville par son implantation sur la hauteur. L’établissement est très ancien, il est intrinsèquement lié à la ville, à tel point qu’il est redevenu, sur un mode culturel, le lieu de rayonnement de Corbigny.

Nous sommes devant le dernier état de l’abbaye. Auparavant, celle-ci a changé de site, puis a été plusieurs fois reconstruite. Le grand projet du 18ème siècle n’a pratiquement pas fonctionné selon la règle monastique car la Révolution a entraîné un changement d’usage et ce n’est que récemment que la vocation culturelle de l’abbaye lui a redonné le prestige d’un établissement de culture, d’échange et de réflexion[1].

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Y a-t-il adéquation entre l’abbaye et la création des espaces de cultures du pays Nivernais - Morvan ? De toute évidence oui, le site se vit bien, l’animation actuelle semble lui être naturelle, l’édifice a patiemment attendu une affectation digne de son architecture.

L’abbaye, c’est avant tout un lieu, un site, un établissement. Campé sur la hauteur, le bâtiment sud absorbe la dénivellation. Deux niveaux de soubassement sont adossés à la colline, le bâtiment se fait falaise. Ainsi, à la manière romaine, le terrain, en partie haute, est aplani, prêt à recevoir le déploiement d’un grand programme.

Le bâtiment des moines et l’église seront reconstruits à la fin du 18ème siècle. Un nouveau monde apparaît. Toute irrégularité est bannie, l’heure est aux grands projets néoclassiques. Corbigny appartient à la lignée des monastères mauristes dont elle constitue une variante campagnarde. Le grand parti est là : galerie d’ampleur, régularité, dimensions imposantes, mais la réalisation doit tout aux matériaux et aux techniques locales. Nous sommes en quelque sorte devant un bâtiment moderne issu des modèles centraux mais interprété par les constructeurs.

A la pierre de taille qui permet des performances de stéréotomie et de grands effets monumentaux, les moines préfèrent les voûtes et les murs en moellons enduits. Aux toitures savantes en ardoises, ils opposent les tuiles rustiques du lieu. La très belle pierre calcaire de Corbigny, dorée et marbrée, est cependant abondamment utilisée pour les encadrements de baies, pour les éléments structurants, alors que des pierres plus tendres, les pierres de Nevers, sont réservées aux ouvrages fins, clefs sculptées ou corniches. Ainsi Corbigny paraît bien appartenir à son terroir ; l’abbaye, par ses matériaux, se fond dans le bâti du bourg mais ses lignes ne trompent pas, l’échelle de l’édifice nous renvoie aux entreprises ambitieuses des Mauristes.

Le cloître reste en plein 18ème siècle le centre de l’établissement, le même modèle de cloître répété à l’infini depuis le haut Moyen Âge. Mais ici, le projet s’inscrit dans la modernité du Siècle des Lumières.

Comme dans plusieurs autres établissements monastiques, nous assistons à l’ouverture de l’abbaye sur la ville. Le quatrième côté est remplacé par une grille, la lumière inonde les galeries, le regard dépasse la clôture pour embrasser la ville. La situation élevée ajoute, dans ce contexte, une note aérienne, l’abbaye s’ouvre largement sur le ciel…

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 « […] La construction du site commence par l’édification d’une enceinte, une clôture. L’ancien mur est encore visible, ainsi que l’ancienne entrée principale, corps de porche traité sobrement par un pavillon d’entrée. Le logis de l’abbé témoigne de l’état du 17ème siècle, s’accroche à la clôture, se plie le long des limites, adopte des formes organiques, légers renflements, ondulations, biais subtils, toitures savamment imbriquées. Le bâtiment se fait rempart. A l’intérieur, l’apparence est plus stricte, les redents rentrent dans un ordre orthogonal, les façades sont structurées par les travées verticales des ouvertures ».

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Le logis de l’abbé qui a longtemps abrité la brigade de gendarmerie de Corbigny s’étage sur quatre niveaux :

 Un sous-sol, entre la tour Nord – Ouest et le mur de cage nord, de plafond assez bas.[2]

Cette belle salle, composée d’une travée trapézoïdale et de trois travées droites, voûté en plein cintre aux travées soulignées par des doubleaux, se caractérise par la présence de deux colonnes monolithes centrales. L’accès au niveau supérieur se fait par une rampe vers l’extérieur ou par un escalier circulaire aménagé dans la tour vers l’intérieur.

  • Un rez-de-chaussée (de plain-pied depuis son accès Est, surélevé depuis son accès Ouest) qui s’articule autour de la pièce de réception avec une cheminée et un plafond à la française.
  • Au Nord, un passage transversal, aménagé sans doute au 19ème siècle, dessert une pièce de service en liaison avec l’aile des communs et l’escalier d’accès au sous-sol.
  • Vers l’Est, l’escalier principal, aux paliers voûtés d’arêtes, mène aux appartements privés.

 

Le premier étage retrouve, à quelques détails près, la même organisation que le rez-de-chaussée.

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Les combles, dont les charpentes témoignent des techniques du 17ème siècle et qui ne sont pas des charpentes « savantes ».

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Dans la tour Nord-Ouest, les gendarmes avaient installé la prison…

 

Le mystère Caristie[3]

Sans qu’aucune archive - commande, devis, dessin - ne vienne corroborer cette hypothèse, c’est à Michel Caristie que sont attribués les plans de cette abbaye, cinquième du nom. Que sait-on sur cet architecte ?

En 1772, une de ses nièces se marie à Avallon. Parmi l’assistance, il est cité comme habitant de Corbigny, où sa présence est encore signalée en février 1775 : il est témoin au mariage d’un menuisier et de Geneviève Main, la fille de l’aubergiste.

Le 10 juin 1775, on paye “le Sieur Caristie, architecte” pour le plan et devis du pont des capucins. Puis, on perd sa trace.

Dans son étude “Les Caristie, une dynastie d’architectes en Morvan”, Léonce Pia-Lachapelle rapproche certains éléments architecturaux et décoratifs de l’abbaye du style des artistes de la Valsesia, région d’origine de la famille Caristia, dans le Piémont (Bulletin de l’Académie du Morvan, n°2, 1975 )

Le document qui nous prouverait ou non l’implication de Michel Caristie dans le chantier reste à trouver !

Les ouvriers du chantier de l’abbaye avaient pour habitude de se retrouver au “cabaret Main”. La maison de la grande rue qui accueillait cette auberge existe encore, au n°20.

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L’édifice dans son contexte bâti[4]

L’ancienne abbaye bénédictine de Corbigny, issue au 18e siècle de la réforme de saint – Maur, adopte un plan en U, à cloître ouvert, avec deux galeries fermées, intégrées au volume des bâtiments.

Les pièces du rez-de-chaussée sont organisées selon un module carré voûté d’arêtes.

Les façades sont régulièrement percées par des baies haut cintrées.

À l’Est, l’accès principal ouvre sur le grand escalier suspendu. De part et d’autre de ce dernier, et se retournant sur l’aile Sud, l’ensemble des espaces conventuels se répartit sur deux niveaux.

Au Nord, la troisième aile reçoit la chapelle constituée de six travées et d’une abside. L’accès à cette ancienne chapelle, requalifiée au rez-de-chaussée en studio de danse, s’effectue directement depuis l’espace public ou par une porte vers les galeries du cloître, ouverte dans l’axe de l’abside.

L’édifice tend vers une forte unité architecturale avec l’intégration de l’église et du cloître dans le volume général du bâtiment. Le cloître s’ouvre sur une voie d’accès à la ville, les galeries sont intégrées au volume des bâtiments et sont fermées par des baies menuisées.

Au centre du jardin du cloître, le puits qui, jusqu’au 19ème siècle, était couronné d’un toit en forme de dôme.

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Un décor sobre et sinueux[5]

Le style rocaille (ou rococo) également appelé premier style Louis XV, donne à l’abbaye son homogénéité décorative. Il se caractérise par l’emploi de courbes et contre-courbes combinées en rythmes légers. Différents éléments en témoignent : l’encadrement des portes, les chambranles des cheminées et les stucs des voûtes par exemple.

Un encadrement de porte Cette menuiserie polychrome et végétale orne la porte d’une des salles du rez-de-chaussée. Les impostes imitant des chapiteaux ioniques, les couleurs vives et les éléments floraux mélangent le goût classique avec le style rocaille. A Paris, le second style Louis XV remplace le rocaille à partir de1750. L’abbaye, pourtant construite après cette date, ne tient pas compte de cette évolution.

La palmette en coquille. Ce motif caractéristique du style rocaille est récurrent à l’abbaye. On le trouve sculpté dans la pierre, le bois, le stuc et le marbre.

“La grâce candide de cette décoration empruntée au répertoire alors démodé d’un rococo assagi, l’aimable variété des nervures, la distribution judicieuse des lieux font un ensemble un peu naïf mais savoureux, où la simplicité n’exclut pas l’agrément.” Sylvia Pressouyre, « L’abbaye de Corbigny », in Congrès archéologique de France, CXXVe session, 1967.

L’architecture extérieure est très sobrement décorée. Sur la façade principale, à l’Est, seules les clés de voûtes sont ornées. Un motif différent est sculpté au-dessus de chaque fenêtre. Au 18ème siècle, on pouvait ainsi admirer des coquillages, des fleurs et même un chérubin. Si ces motifs n’ont pas souffert de l’iconoclasme révolutionnaire, ils n’ont pas été, en revanche, épargnés par le temps.

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Les « Vieux Quartiers » du niveau inférieur

Sorte de soubassement de l’édifice, ce niveau, datant de l’époque des guerres de Religion (16ème siècle), comporte en fait trois zones d’espaces bien différenciées, réparties en totale inadéquation avec la symétrie du bâtiment.

Le premier type d’espace est constitué par une série de trois hautes salles voûtées en moellons, dépourvues d’une quelconque fioriture. Toutes les ouvertures y sont claires et nettes, hormis, peut-être, le portail central qui se trouve désaxé pour mieux répondre à la symétrie parfaite de la façade.

Des petites pièces de service et de stockage, basses de plafond, situées dans les entresols, constituent le deuxième type d’espaces.

La troisième zone est une très longue cave. Elle courre sous l’aile ouest, jusqu’à la moitié de celle-ci.

Un escalier, pour partie bouché, fait la liaison entre cette cave, l’entresol et l’ancienne cuisine du monastère, au rez-de-chaussée, qui, désormais, abrite, pour le Frac de Bourgogne une œuvre de l’artiste néerlandais Krijn de Koning.

Depuis 2005, les « Vieux Quartiers » de l’abbaye de Corbigny, réhabilités grâce à des crédits européens (programme FEDER) accueillent des expositions d’arts plastiques.

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La chapelle du monastère[6]

Il s’agit de l’espace le plus endommagé du monument.

C’est, en effet, au début des années cinquante, que cette église conventuelle orientée (un vaisseau unique de six travées terminé par une abside), qui servait alors de salle des fêtes après avoir été longtemps désaffectée, fait l’objet de travaux d’aménagement particulièrement lourds.

L’objectif de ces travaux était de donner plus d’espaces utiles au cours complémentaire de garçons, installé dans l’abbaye depuis la fin du 19ème siècle.

Pour ce faire, deux planchers en béton armé ont été construits dans la hauteur de l’édifice, à l’initiative du ministère de l’Éducation nationale, afin d’en diviser le vaisseau en niveaux :

Classes au rez-de-chaussée, dortoir à l’étage. Le niveau supérieur qui, correspondant au volume de la voûte, devient alors un comble – perdu, inaccessible au public.

Comme on le voit depuis la cour du cloître, les fenêtres - hautes ont été partagées en deux, à grand renfort de maçonnerie. Ce gâchis est heureusement réversible…

Les pilastres ioniques qui ornent les murs et qui montent de fond en combles, sont pour leur part occultés, ainsi que la voûte à la Philibert Delorme qui, en plein cintre sur la nef, se transformait élégamment en cul- de - four au-dessus du chœur.

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L’étage[7]

Ce niveau est dans sa totalité dirigé par un corridor qui dessert toutes les pièces. Ce large corridor à voûte plate, qui représente la moitié de la largeur du bâtiment, dépasse le cloître dans sa longueur, selon l’habitude des Mauristes. Toutes les pièces desservies par ce corridor étaient les cellules des moines.

Amples, souvent lambrissées, celles-ci comportent toutes une cheminée. Leur orientation idéale Sud et Est leur apporte une grande luminosité.

L’une d’entre elles possède une alcôve. C’était la cellule du prieur.

Ces cellules, en cours de restauration, sont appelées à constituer un vaste espace professionnel dévolu aux compagnies TéATRéPROUVèTe, Déviation et les alentours rêveurs ainsi qu’à des

équipes artistiques en résidence de création à Corbigny.

En dehors des sanitaires, des cuisines et de la salle des fêtes, installés dans l’extrémité nord du corridor, l’ensemble conserve sa disposition d’origine.

Depuis ce corridor, on constate que la quatrième aile du cloître n’a jamais été construite et qu’une simple grille fait office de clôture virtuelle.

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La restauration des toitures de l’aile sud[8]

Outre le vieillissement naturel de la toiture, l’ensemble des altérations rencontrées sont liées aux eaux de pluie et à un désordre de structure, dans l’aile sud, lié à un contreventement du premier niveau.

Le parti de restauration a consisté à conserver, dans la mesure du possible, la charpente en chêne du 18ème siècle, en remplaçant les pièces défectueuses et en restaurant la couverture en tuiles plates de Bourgogne.

La toiture, après intervention des entreprises spécialisées (Dagois, Les Métiers du Bois, Peslard), est désormais équipée d’un système discret d’évacuation des eaux de pluie avec gouttières et descentes en cuivre.

Le contreventement de l’aile sud a été corrigé par un système d’écharpes, par la réimplantation des aisseliers et goussets manquants et par la pose de pannes en continuité, de trois travées en trois travées.

L’implantation, le nombre et la facture des lucarnes de l’aile sud ont été repensés.

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Rez-de-chaussée[9]            

C’est l’étage « noble », qui comprenait toutes les pièces principales de la vie conventuelle : le Chapitre, le réfectoire, la cuisine et les salons de réception. Toutes les pièces, voûtées de manière raffinée, comportent des gypseries et sont équipées d’une cheminée. Certaines étaient lambrissées.

C’est à ce niveau que démarre le vaste escalier principal, largement ajouré en son centre et bordé d’une délicate rampe en fer forgé. Un vestibule situé au centre de l’aile y donne accès et ouvre sur le large couloir qui borde le cloître. Entièrement voûté, ce couloir est vitré sur tout son pourtour et rythmé par de fins pilastres sur lesquels retombent les nervures des voûtes.

Le sol est recouvert d’un dallage de « pierre bleue » extraite dans la région de Corbigny.

La seule altération des volumes initiaux est un appartement en duplex installé au 19ème siècle à l’extrémité Ouest de la galerie.

Cet ancien appartement abrite aujourd’hui les bureaux de l’administration des espaces de cultures du Pays Nivernais - Morvan

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L’église du monastère[10]

Le volume de l’église, de la même largeur et de la même hauteur que les autres ailes, s’intègre rigoureusement dans l’ensemble des bâtiments monastiques.

La singularité de sa fonction se manifeste cependant par l’émergence du clocher, la présence de contreforts et par la monumentalité de la façade ouest, simplement percée d’une porte et d’un oculus.

Le décor de cette église ne subsiste qu’au-dessus du plafond de la salle des fêtes. La voûte a reçu un enduit de mortier à granulométrie moyenne, lui-même recouvert d’un enduit de chaux quasi pure ayant permis une finition lissée de la surface. Enfin, un badigeon gris clair est venu recouvrir l’ensemble.

Le décor proprement dit, réalisé au 19ème siècle, se concentre sur les doubleaux, simulant une modénature composée de tables et de médaillons à motif floral.

Au droit de l’abside, le décor s’étoffe avec un large médaillon circulaire autour duquel rayonnent les doubleaux du chœur.

A l’ouest, l’oculus est souligné par les mêmes éléments de décor.

Notes de bas de pages

[1] 1790 : siège du district. 1807-1832 : administration des Haras. 1834 : petit séminaire. 1850 : bail transféré à la salle d’asile, à la société hospitalière et aux Frères de la doctrine chrétienne de Nancy. 1858 : école normale d’instituteurs sous la direction des Frères. 1888 : école primaire supérieure, cours élémentaire. 1889 : cours complémentaire. 1894 : école pratique d’agriculture. 1914 : hôpital militaire temporaire. 1959 : collège d’enseignement général. 1983 : collège quitte l’abbaye.

 

[2] Redent : Changement de plan dans un ouvrage

Travée : Espace compris entre deux doubleaux

Doubleau : Arc destiné à augmenter (doubler) la solidité d’une voûte

Monolithe : Élément fait d'un seul bloc de pierre de grande dimension

Comble : Ensemble du volume constitué par la charpente et la couverture

[3] Caristie : Dynastie de maçons et carriers Piémontais émigrés au 17ème siècle en Bourgogne, qui ne compta pas moins de quatorze architectes, dont huit installés en Morvan

Augustin Caristie : Architecte français, né à Avallon (Yonne) en 1783, mort en 1862. Il étudia l'architecture sous Charles Percier; publia en 1821 le Plan et la coupe d'une partie du forum et de la voie sacrée; fut chargé de restaurer l'arc de Marius à Orange, dont il donna les Dessins en 1839; a en outre exécuté pour l'Institut de France, dont il devint membre, les Dessins du Temple de Sérapis à Pouzzoles.

Michel-Ange Caristie et son fils Jean-Antoine : Architectes actifs en Bourgogne au 18ème siècle, notamment à Saulieu où ils construisirent un hôpital après l’abandon de l’ancienne Maison-Dieu.

 

[4] Galerie fermée : « La galerie fermée est adoptée couramment dans les réalisations tardives de plan traditionnel, à Lessay, à Corbigny où de larges baies vitrées ouvrent sur la cour intérieure et rappellent les arcades du cloître par leur tracé en plein cintre » (in Monique Bugnier, Cadre architectural et vie monastique des bénédictins de la congrégation de Saint – Maur, Nogent-le-Roi, 1984)

Voûte d’arêtes : Ensemble formé de l’intersection de deux voûtes en berceau

Voûte en berceau : Voûte en forme de demi - cercle

 

[5] Rocaille : mouvement artistique (apparu vers 1700 et ayant connu son apogée sous le règne de Louis XV) touchant principalement la peinture et l'architecture, dérivé du baroque et qui se caractérise par un enrichissement décoratif particulièrement chargé.

 

[6] Vaisseau : espace intérieur délimité par des murs ou des alignements de supports verticaux, et élevé sur toute la hauteur (ou plusieurs niveaux) d’un bâtiment

Travée : Partie comprise entre deux piliers

Abside : Extrémité circulaire se situant derrière le chœur d’une église

Comble-perdu : Espace non habitable dans un comble sous toit

Pilastre : Membre vertical formé par une faible saillie rectangulaire d’un mur et ayant, par sa composition et sa fonction, les caractéristiques des supports

Ionique : Style d’architecture antique apparu au VIème siècle av. J.C. Les colonnes ioniques sont caractérisées par deux volutes sur le chapiteau

Voûte: Système de répartition des charges en maçonnerie permettant de recouvrir l'espace entre deux murs parallèles

Nef : Partie centrale d’une église

Voûte en cul-de-four : Voûte en forme de demi-coupole (1/4 de sphère)

 

[7] Cellules : Dans les constructions mauristes, l’aile Est était traditionnellement réservée à l’hébergement des hôtes (notamment les « visiteurs », chargés de vérifier que la Règle était bien observée), tandis que les moines et le prieur logaient dans des cellules appelées « dortoirs », dans une autre aile.

 

[8] Contreventement : Paroi ou palée assurant la stabilité d’une ossature, et s’opposant à sa déformation, déversement ou renversement sous l’action des forces horizontales

Charpente : Réalisées en chêne, les fermes datant du 18ème siècle sont en bon état et, dans leur grande majorité, ont été réutilisées. Seules les pièces de bois formant noue étaient altérées

Tuiles plates de Bourgogne : Fabriquées à Pontigny , dans l’Yonne, ces tuiles de 15 mm d’épaisseur et de six teintes différentes, ont été directement brassées au pied du chantier avant d’être posées au clou.

Écharpe : Pièce placée dans la diagonale d'un ouvrage, pour le rendre indéformable et participant de ce fait au contreventement

Aisselier : Élément, droit ou courbe, tel que lien, fiche ou contrefiche assurant la rigidité d'un angle formé par deux pièces de bois

Gousset : Pièce de charpente, jambage en bois posé obliquement (angle d’environ 45°) reliant par assemblage un poteau vertical et une poutre horizontale tout en maintenant l’écartement et donnant de la rigidité à cet ensemble

Panne : Pièce horizontale de la charpente d'un toit, posée sur les arbalétriers et portant les chevrons

 

[9] Chapitre : Dans les monastères, l'usage était de lire des fragments (ou chapitres) de la règle canonique devant les chanoines ou les moines. Ces chapitres ont donné leur nom à ces réunions, puis à leurs participants, enfin au lieu où elles se tenaient, la salle capitulaire.

Gypserie : La gypserie est très proche du stuc dans le matériau et la technique, à une différence près : le stuc consiste en un mélange de plâtre, de chaux et de poudre de marbre, alors que la gypserie ne contient que du plâtre et de la chaux.

Pilastre : Support carré terminé par une base et par un chapiteau. À la différence d'un pilier, un pilastre n'est pas un élément porteur : c'est un ornement placé sur un mur porteur.

Voûte : Système de répartition des charges en maçonnerie permettant de recouvrir l’espace entre deux murs parallèles

 

 

[10] Oculus : Fenêtre de forme circulaire. Synonyme : oeil-de-boeuf, bien que celui-ci soit surtout utilisé pour des fenêtres de petite taille

Doubleau : Arc qui double une voûte pour la renforcer

Modénature : Terme d’architecture désignant un élément d’ornement constitué par les profils des moulures d’une corniche

Abside : L'abside est la partie qui termine le chœur d'une église, soit par un hémicycle, soit par des pans coupés, soit par un mur plat. L'abside située à l'arrière du chœur est généralement orientée vers l'Est.